En tant que diététicienne diplômée et formée à la nutrition pédiatrique, je rencontre très souvent des parents inquiets face à des enfants qui refusent de goûter de nouveaux aliments ou ne mangent que des féculents comme les pâtes. Ce comportement, bien que déroutant, est généralement lié à un phénomène normal et transitoire appelé « néophobie alimentaire ».
Qu’est-ce que la néophobie alimentaire ?
La néophobie alimentaire est la crainte ou le rejet des aliments nouveaux ou inconnus. Elle se manifeste généralement entre 18 mois et 2 ans, avec un pic de sévérité entre 2 et 6 ans, parfois jusqu’à 8–10 ans. Ce comportement, inspiré de mécanismes de protection ancestraux, vise à éviter les substances potentiellement toxiques.
Quelle prévalence chez les enfants ?
- 77 % des enfants de 2 à 6‑10 ans traversent cette phase .
- Répartition selon les niveaux de néophobie
- Niveau 1 (préfère goûter d’abord) : 39 %
- Niveau 2 (n’accepte qu’après incitation) : 32 %
- Niveau 3 (refuse catégoriquement tout aliment nouveau) : 6 %
Impacts nutritionnels
Les enfants néophobes consomment moins de fruits, légumes et protéines, et plus d’aliments transformés ou sucrés. Des carences (fer, vitamines, fibres) peuvent survenir, impactant la croissance et le développement .
Origines et facteurs influents
- Facteurs sensoriels et tempérament
Hypersensibilité au goût, texture, odeur ou toucher : un mécanisme de défense sensorielle .
Combinée à des traits tels que l’anxiété, la timidité ou l’émotivité. - Environnement familial et social
- Modèles parentaux et pairs : avoir un adulte ou un camarade mangeant l’aliment encourage l’enfant (effet de modélisation sociale).
- Style parental : le style démocratique (explications, choix) favorise l’acceptation, contrairement aux styles autoritaire ou permissif.
- Contexte socio‑économique : les parents à faibles revenus tendent à racheter les aliments déjà acceptés, renforçant la restriction.
Dépassement et timing
- La pression ou la récompense sont contre‑productives et peuvent renforcer le rejet.
- Exposition répétée (8 à 10 fois) sans pression est la méthode la plus efficace pour familiariser l’enfant avec un nouvel aliment.
- La phase s’estompe généralement après 6 à 8 ans, bien que cela puisse durer plus longtemps chez certains.
Stratégies parentales efficaces
| Stratégie | Action concrète | Pourquoi ça marche |
| Familiarisation sensorielle | Découvrir l’aliment visuellement, en le touchant ou en le cuisinant | Désensibilisation sans ingérer |
| Exposition répétée | Présenter l’aliment petit à petit, 8 à 10 fois minimum | Augmente les chances d’acceptation progressive |
| Modélisation | Les parents et frères/sœurs mangent l’aliment | Encourage par imitation/socialisation |
| Participation de l’enfant | L’enfant épluche, mélange ou arrose les aliments | Augmente la familiarité et l’intérêt |
| Contexte bienveillant | Même repas pour tous, pas de punitions ni de chantages | Crée un cadre sécurisant |
| Varier les formes | Purée, bâtonnets, muffins, dips, etc. | Change les textures et attire la curiosité |
Signes d’alerte et moment de consulter
Contacte un professionnel si :
- La néophobie persiste au-delà de 8‑10 ans
- Il existe un impact sur la croissance, le poids, le développement
- Une détresse émotionnelle ou sociale est associée (angoisse, fuites, pleurs…).
Dans ces cas, un suivi pluridisciplinaire (pédiatre, diététicien·ne, psychologue, orthophoniste…) est recommandé, notamment pour discerner une possible oralité sensorielle restreinte ou un ARFID (trouble de restriction alimentaire) .
En résumé
La néophobie alimentaire est une phase normale, fréquente (3 enfants sur 4) entre 2 et 6 ans, parfois plus longue. Elle devient problématique si elle limite l’alimentation, freine la croissance ou crée une détresse. Fondée sur des approches scientifiques concrètes (exposition répétée, modèles sociaux, sensibilisation sensorielle), l’accompagnement bienveillant permet souvent à l’enfant de graduellement élargir sa palette alimentaire.
Sources scientifiques principales :
- Étude Nutrients (avril 2024), évaluation de 1 173 enfants : lien néophobie–attitude alimentaire esseha.dz
- Revue scientifique (Cerin, 15/04/2024) : causes, trajectoire, stratégies cerin.org
- Apprentissage dès la diversification (Mustela, mai 2025 ; Macif, juil. 2022).
- Prévention de l’ARFID et troubles du comportement alimentaire
